03:34 TECHNIQUE

Peter Zumthor lauréat du Prix Pritzker 2009

L’architecte suisse Peter Zumthor, salué pour le soin ambitieux et pointu qu’il met à réaliser des constructions même modestes et parfois au bout du monde, a obtenu le 12 avril à Los Angeles le prix Pritzker 2009.

Il rejoint ainsi Jean Nouvel, Frank Gehry ou Zaha Hadid, pour une oeuvre éclectique qui comprend des chapelles, des musées, des maisons de retraite ou encore des bains thermaux autour de sources d’eau chaude…

Le jury Pritzker a rendu hommage à des structures intemporelles, se nourrissant des cultures dans lesquelles elles viennent s’intégrer, dans le plus complet respect de leur environnement.

«Ses bâtiments ont une présence qui s’impose (…) nous prouvant encore et encore que modestie dans l’approche et audace dans le résultat ne s’excluent pas. L’humilité cohabite avec la force».

«J’espère que ce prix donnera de l’espoir aux jeunes, qui se disent: Zumthor l’a fait, nous pourrions le faire aussi, construire la totalité de l’édifice, et pas seulement fournir des images ou des façades», a déclaré le lauréat depuis le village alpin où il travaille à la conception de potagers pour des maisons en bois qu’il a construites.

Pour le professeur d’architecture et juré Carlos Jimenez, en ces temps de crise économique, «le travail de Zumthor nous rappelle qu’il y a un luxe en architecture qui peut être trouvé sans rien avoir à voir avec des budgets extravagants ou une recherche formelle extravagante».

Zumthor a reçu le prix Praemium Imperiale japonais en 2008 et la médaille d’architecture de la Fondation Thomas Jefferson de l’Université de Virginie en 2006.

Il est devenu le deuxième lauréat suisse du Pritzker après Jacques Herzog et Pierre de Meuron, qui ont partagé le prix en 2001.

Portrait

Né le 26 avril 1943 à Bâle (Suisse) d’un père ébéniste, Peter Zumthor étudie à Bâle et à New York. Puis, il travaille sur des projets de restauration de bâtiments historiques dans le canton de Graubünden, au sud-est de la Suisse. Devenu architecte indépendant en 1979, il conserve aujourd’hui son atelier dans le petit village de Haldenstein du même canton. Il construit principalement en Suisse mais également dans d’autres pays d’Europe, souvent dans des zones rurales ou montagneuses éloignées des grandes villes. «L’architecture est ma passion, explique Zumthor. Aussi, quand on me propose un projet, il est important pour moi d’avoir la possibilité de faire quelque chose de beau.»

Lieux de culte, musée, maison, thermes…

Son talent particulier réside dans la conception de lieux de culte. La Caplutta Sogn Benedetg (Chapelle Saint-Benoît), construite en 1989 dans le village alpin de Sumvitg, remplace une église médiévale détruite par une avalanche. Son intérieur tout en bois, conçu comme un navire, est l’image même de l’ordre. De même en 2007, la Bruder Klaus Feldkapelle (Chapelle Champêtre de Frère Nicolas) émerge des champs au sortir de Cologne. L’édifice incarne avec noblesse le profond engagement religieux des habitants de cette campagne qui vivent en communion avec la nature.

S’y ajoute Kolumba, Musée d’art de l’archevêché de Cologne, applaudi à son ouverture à l’automne 2007, qui exprime la continuité de l’histoire depuis l’époque romaine à travers la revalorisation d’une ruine ancienne. Le musée puise sa force spirituelle dans la lumière naturelle qui en baigne les salles. Zumthor a également construit, entre autres: la Maison Gugalun en Suisse, où il s’est employé à donner un nouveau souffle à une ancienne ferme transmise à travers les générations d’une famille alpine; les thermes de Vals, aux Grisons (video ci-dessus); ainsi que le Musée d’art de Bregenz (Autriche), couvert de verre translucide.

Dans chacune de ces constructions, l’aspect pratique vit en symbiose avec la dimension esthétique. L’agencement des ombres et de la lumière ne dépareillerait pas dans l’Éloge de l’ombre du Japonais Junichiro Tanizaki. Pour Zumthor, l’architecture ne doit jamais être uniquement fonctionnelle : elle doit également apporter la beauté à l’usage. Les constructions, insiste-t-il, doivent être «conçues spécifiquement pour les lieux qu’elles occupent, pour ainsi dire, faites sur mesure».

Interview de Peter Zumthor parue dans emagazine.credit-suisse.com

le 20 octobre 2003:

Peter Zumthor: “Je suis un architecte-auteur”

Peter Zumthor, vous vous donnez du temps pour mener vos projets à bien. Est-ce l’une de vos qualités?

Faire les choses avec soin, prendre son temps, cela me convient. Je suis un inventeur passionné et un constructeur de maisons de qualité. Pouvoir construire des bâtiments harmonieux dans lesquels tout est en adéquation, et pas uniquement la façade, est plus important pour moi que devenir riche. Je ne cède rien avant d’avoir le sentiment que c’est au point. C’est davantage la façon de travailler et de penser d’une personne qui compose un quatuor à cordes ou qui écrit un livre. C’est l’auteur qui décide quand l’ouvrage est terminé, pas la maison d’édition. On peut assurément dire que je suis un architecte-auteur qui s’affirme et que dès lors, je ne conviens pas aux personnes qui pensent que l’architecture est un service. A l’heure actuelle, on a malheureusement fortement tendance à traiter l’architecture comme un service. A cet égard, je ne suis toutefois pas disposé à faire des compromis.

L’harmonie porte-t-elle également sur les rapports avec le maître d’ouvrage ?

Absolument. Le plus difficile est de travailler pour un maître d’ouvrage anonyme, avec beaucoup de commissions et des compétences partagées. En tant qu’auteur, j’ai besoin d’un vis-à-vis. Lorsque cette condition fait défaut, le risque que cela ne fonctionne pas est grand. Lorsque vous construisez en fonction de l’affectation – en tant qu’architecte, je ne suis pas un artiste libre -, il y a toujours un utilisateur qui sait ce qu’il veut, p. ex. quelles dimensions un bâtiment doit avoir, quels doivent être les rapports fonctionnels, etc. Il ne souhaite cependant pas un service proposé par un gestionnaire de projet et ses collaborateurs, mais un auteur, parce que ce qui en résultera lui fera plaisir. Ce type de collaboration se base sur un respect mutuel. Toutefois, le donneur d’ordre doit avoir une certaine sensibilité, surtout dans la phase initiale délicate.

Vos bâtiments s’intègrent parfaitement dans le paysage. C’est presque comme s’ils en faisaient partie.

Il faut tout simplement aimer les lieux. Cela présuppose qu’après la construction, les lieux auront certes une autre apparence, mais qu’ils ne seront certainement pas moins beaux qu’avant. C’est une question d’intuition, mais on peut aussi repenser cette intuition.

La sensualité est-elle un objectif pour vous ? Extérieurement, par exemple, les thermes de Vals dégagent une grande sobriété. Il s’agit malgré tout d’un bâtiment très sensuel…

Quand une maison ou une pièce plaît à quelqu’un, que ce soit un living-room ou une église, il le ressent, il n’y pense pas. L’architecture est un art sensuel, on l’appréhende avec les sens. Le mental entre bien sûr aussi en jeu, mais en définitive, nous avons tous vécu des expériences avec des constructions et donc, nous avons certaines notions préalables. Pour moi, le plus important est cependant le savoir émotionnel, que l’on ne peut pas toujours rationaliser ni solliciter, mais qui est tout simplement présent.

Quelles images aviez-vous devant les yeux quand vous avez construit Vals ?

Je recherche toujours les images dans la concordance entre le lieu et l’affectation. A Vals, c’était relativement simple : une source chaude jaillit d’une montagne, de la pierre – montagne, pierre, eau, cavité, creuser la montagne. L’eau chaude qui jaillit de la montagne est en fait quelque chose de complètement insensé. Partant de là, j’ai voulu pour Vals quelque chose d’autre qu’un bassin de sport, dans lequel on fait des longueurs. J’ai réfléchi à ce que ce quelque chose d’autre pouvait être. Je pense que nous aurions tous plus ou moins eu les mêmes idées. Il faut essayer de se détendre, d’apprécier l’eau chaude. A Vals, ce thème – l’eau chaude de la montagne – était tellement présent, que la tâche a été relativement facile. Ensuite, on parle bien entendu de ces images et on développe des idées sur cette base.

Vous faites cela seul ou en équipe ?

En règle générale en équipe : je formule les images et j’interroge les gens. Nous travaillons énormément avec des mots, mais toujours avec des images. Les règles abstraites selon lesquells on érige un bâtiment, sont l’étape suivante.

Un mot sur la genèse du bâtiment ?

Il est intéressant de savoir que la commune de Vals, représentée par quelques jeunes habitants, a dû reprendre le complexe hôtelier de l’actif d’une faillite. Ils voulaient absolument que la source thermale continue d’exister. Ils voulaient quelque chose de particulier qui se dégage de la masse. Nous avons fait un bout de chemin ensemble, ils m’ont accordé leur confiance, nous avons beaucoup discuté. Nous avons réalisé beaucoup de choses que j’avais proposées et que personne n’avait jamais faites. Au début, nous avons été confrontés à beaucoup d’incompréhension. Ainsi par exemple, deux spécialistes du marketing se sont retirés. Ils étaient d’avis que notre projet s’adressait tout au plus à quelques rares lecteurs de la NZZ, qu’il s’agissait d’un lieu totalement élitaire que personne ne visiterait. Selon eux, c’était de toute façon contraire à toute règle de construire un tel bâtiment avec un architecte comme auteur. Les maîtres d’ouvrage se sont rangés de mon côté. Il est réjouissant de constater que dans une petite vallée de montagne, il y a des gens qui sont prêts à défendre un projet auquel ils croient.

Quels rapports avez-vous en fait avec les matériaux ?

L’architecture est quelque chose de tactile, quelque chose qu’il faut toucher. En architecture, les matériaux sont comme les notes pour les compositeurs. Je travaille avec les matériaux, je les apprécie tous. Ce qui est intéressant, c’est de faire sans cesse de nouvelles associations de notes et de parvenir à une sonorité spécifique.

Et où puisez-vous vos inspirations ?

Lire, parler, écouter de la musique. Dans les conversations aussi, car il faut repenser certaines choses quand une bonne question vous est adressée. Cela peut également être une source d’inspiration ou vous aider à y voir plus clair. J’apprécie aussi énormément mon mandat de professeur à Mendrisio. Au départ, je l’ai accepté pour des raisons financières, pour avoir un ” moyen de subsistance “, pour ne pas toujours vivre sans savoir de quoi demain sera fait. Je me suis toutefois rapidement rendu compte que c’est toujours une source d’inspiration, un défi. Les étudiants me donnent parfois des réponses très intéressantes aux problèmes que je leur pose. En fait, la vie toute entière est une source d’inspiration. J’apprécie la vie. Je suis capable de passer très rapidement d’un travail très concentré à un moment de loisir plein de gaieté.

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