Un mollusque fossilisé dans un cœur de verdure
Entre les rectangles et les trapèzes de son ancien bâtiment rénové et la forme, inspirée de la spirale d’une ammonite, de son extension, le vaisseau amiral de la justice vaudoise se fond dans l’environnement naturel préservé du parc de l’Hermitage, sur les hauts de Lausanne. Le complexe abritant toutes les cours de justice de deuxième instance du canton en impose par sa solennité et ses audaces. L’Etat de Vaud en a fait un exemple de construction écologique.
Crédit image: Milo Keller
Le concours d’architecture a joué sur un paradoxe : comment réaliser un agrandissement à la touche post-moderne en préservant un site classé. Pari tenu !
Le défi était de taille. Comment agrandir un complexe de bureaux et de salles d’audience judiciaires qui ne s’ouvre guère au public en faisant preuve d’audace ? Qui plus est, comment rénover ce dernier, situé au cœur d’un parc inscrit à l’Inventaire des sites d’importance nationale ? C’est le bureau d’architectes Blättler Dafflon qui a pris le parti de doter d’une extension cylindrique les volumes initiaux, à l’aspect somme toute fort classique. Sur les hauts de Lausanne, dans le parc de l’Hermitage, l’ajout architectural du Tribunal cantonal vaudois transforme ce complexe austère et solennel en le sublimant. Les trois ailes construites en 1986 sont donc reliées à un tout nouveau bâtiment circulaire. Greffé comme un mollusque fossilisé.
Trouver un projet architectural exemplaire pour un site déjà prestigieux, construit dans un vaste parc paysager protégé, était déjà une gageure. Encore fallait-il le rendre davantage fonctionnel et ouvert, avec une partie publique, accessible au justiciable, et une partie « privée », où le droit peut être examiné en toute sérénité, à l’abri des regards. Un mélange de tradition et de grandeur. L’austérité du passé, gage du sérieux du pouvoir judiciaire, s’est donc accommodée d’une construction post-moderne qui en a repris la dimension solennelle. Cela est même allé jusqu’à l’emploi de matériaux nobles, sans distinction de classes sociales. La justice doit être la même pour tous.
L’exemplarité
mariée à l’écologie
Le gouvernement vaudois a voulu agir sur plusieurs piliers pour faire agrandir
et rénover le Tribunal cantonal. Tout d’abord, sur la propriété plutôt que la
location. Ensuite, sur les principes du développement durable, en utilisant
prioritairement des énergies renouvelables et le bois local. Enfin, sur
l’exemplarité de l’architecture, manifestée durant tout le cycle de vie des
bâtiments de l’Hermitage.
Crédit image: Jean-A. Luque
L’extension cylindrique ne dénature pas son environnement paysager. Les architectes ont voulu valoriser un bâtiment fonctionnel sans porter atteinte à celui construit en 1986.
L’extension s’intègre donc dans un parc aux atouts naturels préservés, comme l’ont voulu ses architectes. L’empreinte au sol y est réduite et l’emprise verticale limitée. Le bâtiment cylindrique est en quelque sorte posé dans la prairie, sur un terrain en pente. Sa géométrie dialogue avec le complexe existant et la nature qui l’entoure. Cette extension en impose par sa compacité. Sa sobriété en fait de même, en complément de l’originalité de sa forme.
Mais personne ne s’y trompe. Le complexe du Tribunal cantonal reste réservé à ceux qui l’occupent en permanence. Celles et ceux qui le fréquentent au détour du traitement d’une affaire sont tout de suite mis au parfum. Pour être bien rendue et respectée, la justice doit bénéficier d’un cadre à la fois solennel, voire un peu austère, et confortable pour son personnel. Ce qui n’empêche pas de faire preuve d’originalité architecturale et de vivre avec son temps.
Crédit image: Jean-A. Luque
Vraie colonne vertébrale sur six étages, l’escalier central de l’extension permet de rationaliser la circulation des personnes, tout en rappelant la spirale de l’ancien mollusque dont il s'inspire.
En ce qui concerne l’extension proprement dite, le canton de Vaud a vu dans ce projet de transformation l’occasion d’appliquer toute sa politique de construction écologique. Le cylindre est composé d’un noyau en béton recyclé, retrouvé dans son escalier central de forme hélicoïdale fait également de plâtre lasuré blanc et orné de motifs en relief. Un vrai puits de lumière de six étages, entouré par les bureaux des juges et de leurs collaborateurs. La structure porteuse de cet agrandissement est faite de bois de hêtre et de sapin vaudois préalablement séché. L’usage du bois est maximisé par la flexibilité des usages des locaux, renforcés par une architecture modulaire. Celle-ci permettra d’accueillir quelques espaces et collaborateurs supplémentaires à l’avenir, si le besoin s’en fait sentir.
Crédit image: Jean-A. Luque
Les bureaux et salles de travail sont ventilés naturellement au moyen d’éléments de tôle perforée et munis de larges fenêtres à triple vitrage.
En grande première suisse, l’emploi généralisé du hêtre local dans cette construction est le fruit de la collaboration entre divers partenaires de la filière bois venus des quatre coins de la Suisse romande : Jura, Fribourg et bien sûr Vaud. L’Etat de Vaud a pu recycler du bois atteint par le bostryche pour la construction sans en altérer les performances. La structure porteuse de l’extension a été montée d’abord, avant que les maçons et menuisiers n’entrent en action pour construire l’escalier central. Une prouesse technique !
Le projet lauréat est intitulé « Une ammonite dans la prairie ». Soit l’évocation d’un mollusque fossilisé du Mésozoïque à la forme élégante en spirale. Rappelant une terrasse circulaire située au sud-ouest du complexe, le nouveau bâtiment sublime les anciennes ailes construites en 1986 sous un aspect compact et classique. Sa forme ronde réduit les circulations. Elle limite l’emprise au sol sans masquer les vues sur Lausanne et le Léman découvertes depuis le site de l’Hermitage. Du reste, le panorama découvert depuis la cafétéria sommitale est somptueux.
Le
low-tech au service du confort
Les bureaux et les coursives de ce bâtiment circulaire évoquent aussi l’équité
de la justice en étant tous dotés de parquets en chêne. Le concept de fenêtre
fixe révèle aussi une architecture low tech, dépourvue de climatisation au
profit d’une ventilation naturelle mécanique. Ce qui confère à l’extension le
label vaudois SMéo Energie + Environnement. Les triples vitrages font aussi
respirer le bâtiment. Les grilles d’aération sont traitées comme de hautes
fenêtres latérales pour donner un aspect d’alcôves. Le ressaut créé à
l’extérieur confère un effet de « bow-windows » sur toute la façade. Les
fenêtres s’ouvrent normalement, même si elles sont parfois sécurisées à
l’épreuve des balles. Elles sont garnies d’éléments en tôle perforée qui font
office de garde-corps. L’utilisation des ouvrants est aussi conçue pour gérer
la température des locaux de manière économe. Pour autant que les occupants des
bureaux en aient la sensibilité. Le bâtiment est enfin coiffé d’un landerneau
en bois dont les ouvertures distillent une lumière douce. La base de l’escalier
est composée d’un revêtement en pierre verte d’Evolène, dont l’extraction est
toujours en activité. Un matériau qui se retrouve par petites touches dans tout
le complexe, notamment dans l’habillage des colonnes du corps principal.
Une touche artistique
L’extension
révèle aussi une connexion entre l’architecture et l’art. Les artistes Jean-Luc
Manz et Matteo Gonet y proposent une immersion de lumière et de sérénité,
construite autour de l’escalier hélicoïdal central. Chacune des 50 portes
vitrées donnant accès aux bureaux participe à ce geste artistique revalorisant
l’architecture audacieuse du lieu. La présidente du Tribunal cantonal y voit
même un supplément d’âme qui permet à la justice de pleinement s’exercer.
L’œuvre dialogue aussi avec le dégagement du bâtiment sur le parc et sur les
Alpes de Haute-Savoie.
Crédit image: Jean-A. Luque
La toiture végétalisée du complexe s’intègre dans le paysage.
C’est bien l’intégration dans un site préservé qui a guidé toute la réflexion architecturale au sujet de cet agrandissement. Le « cylindre » tranche ainsi avec la géométrie de l’ancien bâtiment, faite de rectangles et de trapèzes. Paradoxe de l’architecte, l’extension est tout autant remarquable qu’elle se fond dans son voisinage. Elle contribue aussi à l’unité du complexe du Tribunal cantonal vaudois.
Crédit image: Jean-A. Luque
L’entrée du complexe donne sur un escalier monumental illustrant la grandeur de la justice
Les interventions sur les bâtiments ouverts en 1986 ont dépassé le stade d’une simple rénovation énergétique. La façade d’entrée a conservé son aspect d’origine, et la porte principale ouvre sur un escalier monumental. Le marbre y est omniprésent, dans un espace couronné – grande nouveauté – par une nouvelle verrière à la très haute performance énergétique. Diverses coursives donnent accès aux salles d’audience réaménagées et aux divers locaux réservés à l’activité des différents corps de métiers, entre avocats, procureurs, employés des greffes et autres professions liées. L’escalier monumental est la pièce maîtresse de l’atrium de la justice vaudoise. Le maître d’ouvrage a fait améliorer l’isolation, la sécurité, l’électricité et les vitrages des trois ailes existantes. Sans oublier d’en végétaliser la toiture et de doter celle-ci de 400 panneaux photovoltaïques.
Circulation
repensée par zones
A l’intérieur du complexe rénové, la circulation est aussi réglementée, entre
espaces accessibles et réservés. Les zones carcérales sont autant isolées que
par le passé. Tout comme la circulation des détenus et les zones publiques, qui
n’ont pas subi de changements notoires pendant le chantier. Ce qui confère à
l’intérieur du bâtiment l’aspect d’un dédale de couloirs donnant subitement sur
des salles d’audience plus ou moins vastes ou solennelles. Néanmoins, les
nouveaux aménagements améliorent sensiblement la situation d’origine, qui
souffrait de nombreuses lacunes, principalement de sécurité. A partir des
aspects grandioses de l’architecture des années 1980, œuvre de Musy et de
Vallotton, le complexe s’adoucit, notamment par une nouvelle utilisation de la
lumière naturelle et un éclairage LED. Ce chantier de plus de trois ans n’a pas
été de tout repos. De la dioxine a été détectée dans d’anciens remblais, et il
a fallu assainir le sol par endroits pour y remédier. La forme cylindrique de
l’extension a aussi donné du fil à retordre à la direction du chantier, la
contraignant à des travaux spéciaux complexes. Il a également fallu rénover le
complexe étape par étape, une aile après l’autre, pour tenir compte de
l’activité des différentes cours composant le Tribunal cantonal. Ces dernières
sont désormais réunies sous un seul et même toit, facilitant ainsi les échanges
entre juges.
Crédit image: Jean-A. Luque
Les salles d’audience, de dimensions différentes, imposent le respect par leur austérité classique.
Le projet a sublimé l’existant, avec la réutilisation de matériaux comme le marbre ou la pierre d’Evolène. La rénovation a misé sur le bois et le blanc dans les bureaux. Elle a également joué sur les couleurs, avec notamment des panneaux en vert foncé disposés dans la cafétéria juchée au sommet de l’extension. Les ailes sud et est de ce Palais de justice sont réalisées en pierre jaune du Jura. Brisant avec la hiérarchisation des matériaux en vigueur avant les travaux, les architectes ont montré par l’utilisation unifiée des matériaux que la justice ne saurait être à plusieurs vitesses. En effet, les employés du greffe avaient auparavant droit au lino et les juges au parquet…
Si les travaux entrepris se fondent dans les bâtiments, ils ont été conséquents en sous-sol. La conduite du projet de transformation était aussi dictée par des besoins fonctionnels. Le parking souterrain a donc été agrandi sous l’extension pour accueillir une trentaine de places de stationnement pour voitures, motos et vélos. Ces espaces enterrés ont aussi été conçus comme un abri de protection civile en cas de conflit armé. La justice vaudoise a ainsi pensé sa sécurité et son prestige, tout en se montrant plus accessible. Un symbole de démocratie…