Défi d’ingénierie, Malley Phare se joue de la gravité
La tour de 14 étages en structure bois qui se construit actuellement sur l’aile ouest du centre commercial vaudois Malley Lumières attire tous les regards, attise toutes les curiosités. En effet, cette surélévation impressionnante ne repose pas sur les fondations du bâtiment existant. La prouesse technique est rendue possible grâce à la légèreté du bois. Il est vrai que les architectes et ingénieurs de Malley Phare ont su marier les matériaux pour en tirer la quintessence.
Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
800 t de charpente métallique stabilisent la tour. Trois fermes à treillis sur trois niveaux de triangulation, représentant 9 étages, sont en cours d’assemblage l’une après l’autre depuis le mur porteur ouest de la tour.
Les apparences sont parfois trompeuses. Actuellement, quand on jette un coup d’œil à la construction de la tour Malley Phare, en périphérie ouest de Lausanne, on ne devine – derrière les échafaudages – que des murs en béton et des poutrelles d’acier. Et pourtant, oui, il s’agit bien là de la première tour en structure bois de Suisse : une surélévation de 14 étages au-dessus de l’aile ouest du centre commercial Malley Lumières.
Urbain et
contemporain
C’est vrai que quand on pense construction en bois, on imagine d’emblée le
chalet alpin aux poutres généreuses et aux murs couleur sapin. Mais qu’on ne
s’y trompe pas ! Si Malley Phare s’appuie généreusement sur le bois (à 80 %
pour sa structure), l’édifice revendique fièrement sa modernité. Le projet se
veut innovant, urbain et contemporain. Le bois est au cœur de sa construction,
mais discrètement habillé et encapsulé dans un mélange de fibres de bois
compressées. A l’arrivée, seules les solives en matériau noble resteront
visibles.
« Avant même d’imaginer le projet architectural, nous avons mené une étude pour identifier le public cible de ce nouveau quartier de Malley, explique Florence Chacornac-Mages, directrice de communication du bureau CCHE. Ce bâtiment pourra répondre aux attentes de jeunes urbains en phase avec les préoccupations sociales et environnementales de notre époque. Ils cherchent souvent des lieux de vie plus petits, mais plus cohérents. Ils n’ont pas envie de posséder des pièces superflues, par contre ils veulent compter sur des espaces supplémentaires – ce que nous appelons des chambres joker – pour accueillir occasionnellement des amis ou de la famille ou encore faire du télétravail. Et ils s’alignent sur une stratégie de mobilité douce que le quartier peut leur offrir avec le train, le bus et bientôt le tram. »
Crédit image: Jean-A. Luque
Chaque étage compte entre 7 et 10 logements répartis le long d’un couloir central nord-sud. A chaque extrémité, des espaces sur une triple hauteur offrent du volume et de la lumière. C’est là que sont réunis ascenseurs et cages d’escalier, buanderies et caves de rangement.
La réponse architecturale de Malley Phare tient compte de ces aspirations. La tour de 14 étages propose 96 logements en location répartis comme suit : 9 studios, 12 lofts, 29 appartements de 2,5 pièces, 33 appartements de 3,5 pièces et 3 appartements de 4 pièces. Surtout, elle met à disposition 8 chambres joker et 6 espaces de coworking en double hauteur. A chaque étage, on trouve également une buanderie commune. Et au sommet de l’immeuble qui culminera à 60 m de hauteur, un bar rooftop avec vue imprenable sur le Léman.
Producteur
d’énergie
Mais ce n’est pas tout. La SUVA, maître d’ouvrage, est très attentive au développement
durable dans ses investissements. Le complexe résidentiel répond aux exigences
Site 2000 watts et vise un label Minergie-Eco en respectant les exigences de la
norme SIA 2040. L’utilisation de bois de provenance presque exclusivement
indigène y participe. Quant aux panneaux photovoltaïques sur les façades et la
toiture, ils permettent au bâtiment d’être producteur d’énergie. L’objectif :
dégager 250 000 kW par an !
Le projet est ambitieux. Encore faut-il le construire. Pas évident quand on sait qu’il s’agit d’une surélévation au-dessus d’un complexe de loisirs qui abrite notamment une piscine et de nombreux commerces. « Il était exclu de reporter les charges de la tour sur le complexe originel, explique Fabio Leo, l’architecte de CCHE et chef de projet. On n’allait pas commencer à le traverser avec des piliers, d’autant plus que Malley Lumières doit rester en activité pendant le chantier. Notre solution a été donc de concevoir un bâtiment-pont. »
Concrètement, une chemise de béton habille désormais l’aile ouest du centre commercial. Trois murs d’enceinte, épais de 80 cm, ont été élevés sur une quinzaine de mètres à 30 cm des façades existantes. « Les fondations se composent d’une vingtaine de barrettes de béton qui vont chercher la mollasse à 25 - 30 m de profondeur, précise l’architecte. C’est deux fois plus profond que le niveau – 3 de Malley Lumières. »
L’atout
légèreté
La tour – plus légère grâce à sa structure mixte composée de bois et de 5 %
d’acier – repose sur une structure métallique pour la descente de charges sur
les trois murs périphériques. Un niveau, dont le sol est le toit de Malley
Lumières, abritera la technique tant de ce dernier que de Malley Phare. Cet
étage de vide fait la transition entre les deux édifices.
Mariage des
matériaux
Pour les murs et les étages, plusieurs solutions ont été explorées au travers
d’un mandat d’études parallèle avec quatre entreprises bois – dont JPF Ducret
qui a remporté le contrat. « Les planchers des dalles sont mixtes en bois et en
béton, indique Fabio Leo. Ce bois-béton rigidifie le plancher et garantit
l’inertie thermique et l’acoustique. Les murs des cages d’ascenseurs et des
escaliers sont constituées de panneaux en bois lamellé-croisé (Cross laminated
timber, CLT) ; les autres murs porteurs sont des treillis en bois protégé par
des plaques de Fermacell, du fibre-gypse qui fait également office de
coupe-feu. » Le bois est intéressant d'un point de vue écologique. On estime
que les émissions de gaz à effet de serre s'élèvent à 180 kg de CO2 /m³ pour la
construction du CLT contre plus de 500 kg de CO2 /m³ pour le béton.
Crédit image: Jean.A. Luque
Utiliser le matériau adéquat à bon escient a été une préoccupation constante des concepteurs. Charpentes métalliques et bois se complètent et se marient à la perfection. Mais, une fois les travaux terminés, cette matière première sera invisible, habillée et encapsulée dans un mélange de fibres de bois compressées. Seules quelques rares poutres seront visibles dans des loggias. Les solives, elles, resteront apparentes dans les appartements.
Le squelette du bâtiment est pour sa part constitué de poutres en acier élancées. « Il faut savoir utiliser le matériau adéquat à bon escient, insiste le chef de projet. Il faut mettre à profit ses caractéristiques statiques et tenir compte du prix. Les poutres en acier de 50 cm se justifient pleinement. Si nous avions voulu qu’elles soient en bois, elles seraient cinq à six fois plus épaisses. »
Préfabrication
avantageuse
Question coût justement, on estime que construire avec du bois est 5 à 15 %
plus cher pour le gros œuvre. Néanmoins, il possède des avantages importants en
termes d’efficacité dans l’exécution. En effet, le bois permet de déplacer de
nombreuses étapes vers la préproduction. Les pièces en bois, notamment pour les
façades périphériques sur une trame de 7,7 m, sont préfabriquées en atelier, ce
qui permet de prendre de l’avance. Quand les travaux commencent, le camion
arrive, les ouvriers déchargent, et tout est prêt pour le montage. Résultat :
le bois est désormais devenu tout aussi concurrentiel qu’une construction en
métal et tient dans le même cadre budgétaire.
Les 3000 m³ de panneaux d’épicéa sont stabilisés par 800 t de charpente métallique. Trois fermes à treillis sur trois niveaux de triangulation, représentant 9 étages, sont assemblées l’une après l’autre sur le mur porteur ouest de la tour. Elles sont ensuite ripées sur deux tôles de ripage en tête des murs nord et sud du nouveau bâtiment grâce à quatre vérins hydrauliques. La structure déplacée a un poids variant de 100 à 350 t pour une portée de 46 m. Chaque déplacement doit se faire minutieusement et nécessite une demi-journée, voire parfois une journée entière.
La tour ne sera pas monolithique ; pour casser le rythme, elle est constituée de trois blocs, respectivement de 5, 4 et 5 étages, avec trois typologies d’appartements. Chaque niveau comptera entre 7 et 10 logements. Cette organisation crée un dessin de façade composé de fentes, d’entailles et de loggias. Un couloir central nord-sud relie les habitations avec à chaque extrémité des espaces sur une triple hauteur.
Les panneaux photovoltaïques qui habilleront les façades contribueront eux aussi à la signature de Malley Phare. Judicieusement répartis, ils seront plus nombreux et concentrés sur la paroi exposée plein sud, plus espacés sur les autres façades moins ensoleillées pour offrir aussi plus de transparence.
Protection
incendie à toute épreuve
Ce sont
justement ces panneaux solaires qui doivent subir, fin octobre sur le site des
Avenières (FR), un essai de comportement sous feu réel (échelle 1 : 1) avec un
module de façade d’une hauteur de 8 m environ. L’objectif principal est de
s’assurer que, si l’un des panneaux s’embrase, la propagation des flammes soit
contenue à un périmètre restreint ; en effet au vu de la hauteur de la tour,
les façades au-dessus de 30 m ne sont pas accessibles aux sapeurs-pompiers
depuis le camion-échelle.
Quant au bois, on sait désormais depuis des années qu’en cas d’incendie, il n’est pas moins résistant que l’acier. Ce dernier en effet soumis à une trop grande chaleur peut atteindre rapidement son point de rupture. Le bois, lui, se consume et se dégrade en surface, mais ne rompt pas. D’ailleurs, les prescriptions de protection incendie ont évolué au fur et à mesure des connaissances. Longtemps, les bâtiments en bois ne pouvaient pas excéder deux étages. En 2005, la limite est passée à six niveaux, soit l’équivalent de 30 m. Le tournant est intervenu en 2015, lorsqu’est tombée la restriction relative à la hauteur. Le système porteur bois sera entièrement encapsulé pour répondre aux exigences des prescriptions de protection incendie, hormis les solives situées dans les logements qui seront apparentes et protégées par une installation d’extinction automatique.
Brouillard
d’eau étouffant
« Pour ce
projet magnifique de première tour de Suisse romande avec système porteur bois,
précise Marc Emery de la société WSP-BG, nous avons privilégié un concept
d’installation-extinction avec système à brouillard d’eau en lieu et place
d’une installation sprinkler traditionnelle. Notamment pour réduire les besoins
en eau d’extinction et limiter les dégâts d’eau en cas de déclenchement. Ce
système de brumisation met l’eau en pression et la pulvérise en gouttelettes.
Il agit non seulement par réduction de température mais également par
étouffement. »
Loggias
protectrices
Comme tout édifice en bordure de voie CFF, le bâtiment répond aux contraintes
OPAM (Ordonnance sur la protection contre les accidents majeurs). Les loggias
qui accompagnent tous les appartements, sauf les studios, participent à ce rôle
de protection. Ces pièces de vie à part entière, de 10 à 15 m², protègent
également les appartements d’un soleil trop puissant et jouent un rôle de
protection phonique et régulateur thermique. Pour contrer la lumière rasante du
soir ou du matin, des stores à lamelles équipent les baies vitrées.
Les travaux préparatoires ont débuté au printemps 2022 et l’immeuble devrait être terminé fin 2024. Les premiers locataires – on en attend 200 – pourront prendre possession des locaux au premier semestre 2025.