04:03 TECHNIQUE

Percée au fond d’une galerie à quelques pas du Château de Chillon

Projeté depuis plusieurs années, le plus grand chantier énergétique du canton se poursuit à Veytaux, dans un site très exiguë à quelques pas du Château de Chillon. Le projet d’extension de la centrale hydroélectrique existante, estimé à 330 millions de francs, permettra de doubler la puissance et la production des installations grâce une nouvelle caverne souterraine de 140 000 m3. Reportage à 100 mètres de profondeur.

Le besoin croissant en énergie de pointe et d’énergie de réglage, nécessaire pour adapter la production d’électricité à la demande, a incité le Conseil d’administration des Forces Motrices Hongrin-Léman SA (actionnaires: Romande Energie SA, Alpiq Suisse SA, Groupe E et la Commune de Lausanne) à augmenter la puissance de pompage-turbinage de ses installations. Après une longue et minutieuse préparation du projet, une nouvelle caverne est en train d’être réalisée dans la montagne à côté de la centrale existante de Veytaux, afin d’accueillir deux nouveaux groupes de pompage-turbinage de 120 MW chacun. Cette future centrale, raccordée en parallèle à l’existante, utilisera les mêmes infrastructures hydrauliques (barrages de l’Hongrin, puits blindé, prise d’eau dans le Léman). La puissance à disposition sera portée à 480 MW, dont 420 MW en service et 60 MW de réserve. Le projet FMHL+ assurera ainsi un complément nécessaire au développement des énergies renouvelables, puisqu’il permettra de stocker sous forme hydraulique (par pompage) les excédents de production issus des centrales éoliennes et des panneaux photovoltaïques. Cette énergie ainsi stockée pourra être restituée lors de consommation de pointe ou lorsque la météo sera moins propice aux énergies renouvelables.
La construction du nouveau projet, estimée à 330 millions de francs, durera 4 ans avec une mise en service prévue fin 2014. Le barrage de l’Hongrin, la galerie d’amenée et le puits blindé ne seront pas modifiés. Par contre, une nouvelle cheminée d’équilibre de 169 m de profondeur et de 7,2 m de diamètre, située à Sonchaux, renforcera la cheminée d’équilibre existante pour mieux amortir les «coups de bélier» engendrés par les arrêts et les démarrages des groupes de production.

Installation de chantier dans un mouchoir de poche
Commencé l’an dernier, le chantier se déploie dans un mouchoir de poche, entre une forêt en pente surplombée par le viaduc autoroutier de la N9 et la route du lac, à quelques pas du Château de Chillon. Des containers empilés les uns sur les autres forment une sorte de porte d’entrée sécurisée, tout en assurant un rôle de protection phonique. En raison de la proximité du viaduc et des voies CFF, les vibrations émanant des travaux sont contrôlées par une vingtaine de géophones mesurant les réactions du sol. Les mesures réalisées démontrent que les ébranlements sont largement au-dessous du seuil d’alerte défini pour les ouvrages environnants. Au fond de l’enceinte, un portail d’environ six mètres de haut marque le début d’une galerie de 330 m (galerie Ouest) creusée dans roche qui mènent à la future caverne de 100 m de long, 25 m de large et 57 m de haut, actuellement en cours d’excavation. Une deuxième galerie de 213 m de long (galerie Est) s’embranche après 60 m pour mener à la calotte de la caverne. «C’est dans ce volume semblable à celui de la Cathédrale de Lausanne que seront logés les deux nouveaux groupes de pompage-turbinage reliés à l’installation existante grâce aux nouvelles galeries», explique Alain Jaccard, chef de projet pour le compte de la société des Forces Motrices Hongrin-Léman SA.
Chaque jour, une vingtaine d’ouvriers ayant déjà travaillé dans les tunnels du Lötschberg, du métro M2 ou d’Arrissoules s’activent dans les galeries au rythme de deux tirs par jour. «Chaque minage à base d’explosifs sous forme d’une émulsion de liquides détonants injectés dans la roche permet d’avancer de près de quatre mètres. Au total, près de 200 tonnes d’explosifs seront nécessaires», indique le chef de projet. La galerie Est qui mène en calotte de la caverne principale est partiellement percée sur la longueur de cette dernière. Sa hauteur actuelle de 7 m sera doublée ces prochains mois. La galerie Ouest, quant à elle, n’est plus qu’à quelques dizaines de mètres de la caverne. Dans ces deux galeries et la caverne principale, seul du béton projeté et des ancrages relativement longs pour la caverne principale sont nécessaires à la consolidation. «Cette technique est de plus en plus courante depuis ces vingt dernières années. Plutôt que de mettre une voûte en béton rigide qui reprend tous les efforts et les poussées de la montagne, on utilise les 5 à 10 m en dessus qui sont de la roche en place pour l’améliorer et la renforcer», explique Alain Jaccard. La nouvelle caverne qui accueillera la salle des machines se trouve, quant à elle, partiellement en-dessous du niveau du lac. Des trous de forage, dans lesquels seront injectés un coulis de ciment sous pression, seront réalisés en marge de la zone d’excavation pour étancher la roche. Un système de pompage utilisé en complément assurera la mise hors eau de l’excavation.

Excavation dans du calacire dur

En cours de réalisation actuellement, l’immense volume de la caverne est excavé dans du calcaire dur. «La roche est fortement fracturée selon trois systèmes principaux. Cette fracturation et notamment celle perpendiculaire à l’axe de la caverne, associée au pendage subhorizontal de la roche est responsable d’un découpage en forme de «marches d’escalier» lors de l’excavation à l’explosif. La hauteur de ces marches varie entre 50 cm et 3 m. Grâce à l’orientation adéquate de la caverne, ce système en «marches d’escalier» est orienté environ parallèlement à l’axe de la caverne. Il crée des irrégularités longitudinales n’affectant pas la stabilité de la voûte qui est assurée par la portée de 25 m perpendiculaire à l’axe de la caverne.
Ce sont donc, comme dans une cathédrale, la structure en «marches d’escalier» qui agit comme des arcs en plein cintre continus en rocher, associés au système de soutènement définitif composé d’ancrages injectés de 6,5 m de long et de 32 mm de diamètre et le béton projeté qui assurent la stabilité de la voûte.
Sitôt après chaque minage, ce système en «marches d’escalier» est purgé au brise-roche. Pour la première couche du soutènement définitif, des treillis en fil de carbone de quelques mètres de large épousent au mieux la roche excavée. Ils ont été préférés aux treillis métalliques qui auraient entrainé une surconsommation de béton projeté pour combler les irrégularités de la voûte dans le sens longitudinal de la caverne», relève le chef de projet.

150 camions par jour
Différentes stratégies ont été étudiées pour traiter et acheminer les 300 000 tonnes de gravats extraits de la montagne. «Nous avons envisagé de travailler avec le groupe Sagrave en installant un tapis roulant descendant jusqu’au lac ou avec les CFF en créant une troisième voie, mais ces alternatives auraient induit des investissements plus importants voir colossaux avec la solution CFF et provoqué davantage de nuisances pour les riverains », note le chef de projet. La solution d’un acheminement par camion a donc été privilégiée après qu’une simulation du trafic n’ait pas révélé de risque de surcharge de trafic sur cette route fréquentée par plus de 1000 voitures, bus et camions par heure. Avec un camion toutes les six minutes, 1500 m3 de gravats sont ainsi transportés par jour jusqu’aux Carrières d’Arvel SA, à Villeneuve. Les matériaux y sont concassés puis traités par une centrale à béton installée sur le site de la carrière afin d’en faire du béton projeté qui est ensuite acheminé au fond des galeries. «Nous estimons que l’équivalent de 50000 tonnes de graviers sera utilisé pendant les travaux, le reste sera dilué sur le marché par les Carrières d’Arvel SA», précise le chef de projet.
En raison des contraintes environnementales et de voisinage, les installations de chantier n’ont pas pu être agrandie à l’extérieur. Les acteurs du projet ont donc dû trouver des solutions pour gérer la logistique inhérente au chargement des matériaux excavés sur le site. «Pendant les premiers mois des travaux, on chargeait tous les camions à l’entrée du tunnel. Cette solution posait des problèmes évidents de logistique. Pour accélérer la cadence, nous avons créé un élargissement de la galerie d’accès à la caverne (galerie Ouest) sur une longueur de 180 m dans lequel il est possible de stocker 1500 m3 de matériaux. Depuis les fronts d’attaque, les matériaux d’excavation sont acheminés par des charges-roules qui les amènent jusqu’à l’élargissement. Avec cette solution, il nous est possible de charger les camions jusqu’à 22 heures puisque les riverains ne sont pas gênés par le bruit», développe Alain Jaccard.
Ces prochains mois, les galeries où seront installées les conduites d’eau seront excavées en parallèle à l’excavation de la caverne. Cette dernière sera bétonnée en 2013 et en 2014, en parallèle à l’installation des deux nouveaux groupes de pompage-turbinage. (Emilie Veillon)

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