L'Empa veut lutter contre la corrosion de l’hydrogène sur l’acier
En septembre 2024, une portion du pont Carolabrücke à
Dresde s’est effondrée, victime de fissures causées par la fragilisation par
l’hydrogène. A l’Empa, des chercheuses étudient ce phénomène à l’échelle
nanométrique pour mieux comprendre l’interaction entre l’hydrogène et la couche
d’oxyde protectrice de l’acier, dans le but de renforcer la durabilité des
infrastructures.

Crédit image: CC0 1.0-Scalaran
L’hydrogène fragilise les aciers à haute résistance, et des chercheurs de l’Empa étudient son interaction avec les couches d’oxyde protectrices pour mieux comprendre ce phénomène complexe.
Dans la nuit du 11 septembre 2024, un tronçon d’environ
100 m du pont Carolabrücke à Dresde, en Allemagne, s’est effondré dans l’Elbe. L’origine de
l’incident a été attribuée à des fissures provoquées par l’hydrogène dans la
structure en acier sous tension du pont. Le pont Carolabrücke n'est de loin pas
le premier ouvrage à subir les effets de l'hydrogène. D'autres exemples connus
sont le gratte-ciel londonien «122 Leadenhall Street», ainsi que la construction partielle du
Bay Bridge à San Francisco, pour lesquels la défaillance des boulons en acier a
entraîné des coûts de rénovation de plusieurs millions.
Fragilisation par l'hydrogène
Le processus s'appelle la fragilisation par l'hydrogène.
Certains processus de corrosion en présence d'eau libèrent de l'hydrogène
atomique – le plus petit élément du tableau périodique – à la surface des
éléments de construction en acier. Grâce à sa petite taille, l'hydrogène se
diffuse dans l'acier, où il favorise la formation de fissures par différents
mécanismes.
On sait depuis le XIXe siècle que l'hydrogène attaque les
métaux. Cependant, les mécanismes complexes qui se cachent derrière la
fragilisation par l'hydrogène n'ont pas été entièrement compris jusqu'à
présent, malgré de nombreuses études. Des chercheurs de l'Empa du Laboratoire
de technologie d'assemblage et de corrosion étudient maintenant un aspect de la
fragilisation par l'hydrogène qui n'a reçu que très peu d'attention:
l'interaction de l'hydrogène avec la couche d'oxyde natif sur l'acier.
La couche d'oxyde natif, également appelée couche de
passivation, est une fine couche qui se forme naturellement à la surface de la
plupart des métaux et alliages. Elle confère aux aciers inoxydables leur
résistance à la corrosion. Le type et la composition de cette couche de
quelques nanomètres d'épaisseur diffèrent d'un acier à l'autre. Certains oxydes
sont nettement plus stables et résistants à l'hydrogène que d'autres. Ils
protègent mieux l'acier contre la fragilisation. C'est ce que veulent étudier
les chercheuses de l'Empa Chiara Menegus et Claudia Cancellieri. Elles
accordent une attention particulière à l'interface entre le métal et sa couche
d'oxyde. «L'hydrogène s'accumule toujours dans le matériau là où règne le
désordre», explique la doctorante Chiara Menegus. «L'interface entre le métal et
l'oxyde est un tel endroit».
Dispositif expérimental
La recherche sur l'hydrogène dans l'acier est un défi. Les méthodes d'analyse
courantes ne permettent pas de détecter cet élément léger. Les expériences
doivent également se dérouler en excluant tous les autres facteurs
environnementaux tels que l'oxygène et l'humidité – sinon, des interactions
complexes et des processus de corrosion se produisent, qui masquent l'influence
de l'hydrogène. Le dernier grand défi est l'interface elle-même.
Les chercheuses relèvent ces défis grâce à un dispositif
expérimental innovant. Au cours de sa première année de doctorat, Chiara
Menegus a développé une cellule électrochimique dans laquelle l'échantillon
d'acier est fixé. L'eau se trouve d'un côté de l'échantillon et l'argon, un gaz
rare inerte, de l'autre. En appliquant une tension électrique, de l'hydrogène
atomique est généré à partir de l'eau. Il se diffuse à travers le mince
échantillon jusqu'à ce qu'il atteigne la couche d'oxyde du côté opposé et
interagisse avec l'oxyde natif. Toutes les étapes – de l'assemblage de la
cellule à l'analyse de l'échantillon – se déroulent sous atmosphère protectrice,
dans une boîte à gants.
Procédé rare et innovant
Pour caractériser les échantillons, les chercheuses ont recours à une technique
d'analyse unique en Suisse: la spectroscopie photoélectronique à rayons X dits
durs (en anglais «Hard X-ray Photoelectron Spectroscopy». Cette méthode de
spectroscopie utilise des rayons X de haute énergie pour déterminer la nature
et l'état chimique des atomes d'un matériau, et ce non seulement en surface,
mais aussi jusqu'à 20 nanomètres en profondeur – suffisamment pour saisir la
couche d'oxyde d'environ cinq nanomètres d'épaisseur ainsi que l'interface avec
l'acier située en dessous.
Certes, l'hydrogène lui-même ne peut pas être détecté
directement – mais les chercheuses ont déjà pu démontrer clairement ses effets
sur l'ensemble de la couche d'oxyde. « Les premiers essais montrent que
l'hydrogène dégrade la couche d'oxyde protectrice », explique Chiara Menegus.
Elle veut maintenant étudier les oxydes sur différents alliages fer-chrome
ainsi que sur quelques aciers courants. Ensuite, en collaboration avec le «Ion
Beam Physics Lab» de l'EPFZ Zurich, les chercheuses détermineront directement
la teneur en hydrogène dans les échantillons – en temps réel, avec une méthode
complexe d'accélérateur de particules. «Nous espérons ainsi mieux comprendre
l'effet de l'hydrogène sur les couches d'oxyde natives et trouver des formes
d'oxyde particulièrement résistantes», résument les chercheuses. Leurs
découvertes pourraient conduire à la construction de ponts plus durables –
ainsi qu'à de meilleures infrastructures pour le stockage et le transport de
l'hydrogène vert.