Les merveilles genevoises du vivant dans leur coque de béton
En matière de sciences du vivant, la recherche a besoin de place à Genève. Le Muséum plus que bicentenaire est en cours d’agrandissement pour proposer un espace de collection modernisé et des laboratoires adaptés à la conservation de ses 15 millions de spécimens. La construction d’un cube de béton dans le parc de Malagnou s’accompagne donc d’une sévère remise à niveau des bâtiments ouverts en 1966.

Crédit image: Ville de Genève, Nicole Zermatten
Il a été nécessaire de construire un nouveau bâtiment en forme de cube (au centre du complexe en L) pour entreposer et étudier les 15 millions de spécimens de l’institution dans des conditions - enfin – modernes.
Pour une institution aussi prestigieuse que le Muséum d’histoire naturelle de Genève, la sécurité des collections n’a pas de prix. D’autant plus que les 15 millions de spécimens qu’elle abrite exigent une sévère remise aux normes. Il en va de la qualité de la recherche scientifique qui y est menée, tout comme de son rayonnement auprès du grand public qui pourra, dès 2027, profiter d’une nouvelle scénographie, une fois les travaux d’extension et de rénovation terminés.
C’est un chantier hors normes qui bat son plein dans le parc de Malagnou, en plein cœur de la Cité de Calvin. Justement parce que l’abondance des objets que rassemble le Muséum plus que bicentenaire n’autorise qu’un déménagement par étapes et des interventions progressives. Les normes de sécurité, notamment en ce qui concerne les objets conservés dans de l’alcool, ont aussi évolué. A tel point que le projet de rénovation des bâtiments construits en 1966 a vite débouché sur la construction d’une extension. C’est le projet Ambre, présenté par le bureau MAK Architecture, qui a remporté le concours lancé par la Ville de Genève à cet effet.

Crédit image: Philippe Chopard
Les salles de tri sont déjà équipées de rails pour déplacer les compactus.
Le nouveau bâtiment redistribue complètement les flux d’accueil du public. Il est construit entre les quatre étages dévolus à la recherche et l’espace muséal proprement dit, ouvert au public. Les chercheurs vont ainsi profiter d’une entrée séparée pour rejoindre leurs laboratoires et autres salles de tri ou de stockage. Ambre se présente sous la forme d’un cube. Il est équipé d’un monte-charge et d’un ascenseur, et de divers espaces d’entreposage des collections. Les salles de tri sont déjà munies de rails pour faciliter les déplacements des compactus.

Crédit image: Ville de Genève, Nicole Zermatten
Dans le nouveau bâtiment, un escalier en colimaçon permet de gagner les étages également accessibles par monte-charge et ascenseur.
Ce nouveau bloc est encore en chantier. Le déménagement des collections actuellement entreposées dans le bâtiment scientifique interviendra d’ici la fin de l’année. Construit majoritairement en béton, le bâtiment est compartimenté pour sécuriser les richesses qu’il contient. Les spécimens sont pour la plupart stockés dans 120 000 récipients emplis plutôt d’alcool que de formol. Cela pour préserver les molécules ADN, indispensables à la recherche scientifique. Le maniement des liquides hautement inflammables doit pouvoir bénéficier de mesures de sécurité draconiennes.
Un déménagement
titanesque
Construit il y a près de soixante ans, le bâtiment scientifique attenant va
déménager une partie de ses richesses dans Ambre et réaménager ses locaux. Les
chercheurs y bénéficieront d’espaces de travail plus grands et plus
accueillants. Actuellement, les quatre étages sont remplis à ras-bord de
compactus. Les pièces sèches ou macérant dans l’alcool y sont méticuleusement
inventoriées pour préparer leur déménagement. Entre les deux constructions,
l’ancienne entrée du Muséum sera reconvertie en espace d’accueil pour les
scientifiques. La rénovation des laboratoires sera menée par étapes, en
fonction du rythme imposé par le déménagement des collections.

Crédit image: Ville de Genève
L’espace des collections permanentes a été doté d’une mezzanine provisoire pour entreposer les éléments qui n’ont pas pu déménager.
Le public pourra bénéficier d’une nouvelle entrée, aménagée depuis le parc de Malagnou. Il y trouvera une réception, des vestiaires agrandis, une boutique, un restaurant et des salles réservées à l’accueil de groupes – des classes par exemple – ou à la médiation culturelle. Tout ce qu’un musée moderne se doit de proposer ! Le Muséum proprement dit conservera son vaste espace d’expositions permanentes. Soit un hall en double hauteur dédié aux sciences de la terre et du vivant. Une mezzanine métallique y est déjà installée à titre temporaire, vu qu’il n’y pas été possible de vider entièrement le volume pendant les travaux. Un espace pour des expositions temporaires, de moindre format, est aussi aménagé sur plusieurs niveaux, autour d’une cage d’escalier circulaire faisant office de puits de lumière. L’auditorium sera aussi rénové. Il sera notamment nécessaire de remplacer tous ses équipements techniques et moyens audiovisuels.

Crédit image: Philippe Wagneur, Muséum de Genève
Les plus gros éléments ont été bâchés pour éviter de prendre la poussière du chantier.
Un tel chantier demande une coordination de tous les instants, explique Joël Paolo, chef de travaux au sein du bureau Pragma Partenaires SA. Il s’agit d’intervenir lourdement en préservant les collections. C’est pour cette raison que le maître d’ouvrage et ses mandataires ont installé des appareils mesurant les vibrations à proximité des spécimens les plus fragiles. Dont une impressionnante collection de coléoptères, qui supporte mal les répercussions du bruit d’un marteau piqueur. Les mesures effectuées ont permis le recours à des pinces moins bruyantes pour casser les éléments de béton. La structure des bâtiments, en béton brut, a été conservée. « Elle était en bon état, rappelle Joël Paolo. Nous avons même pu révéler les qualités des matériaux utilisés dans les années 1960. Comme quoi le style dit du Corbusier est encore précurseur et durable…»
Cèdres
préservés
La construction d’Ambre a aussi dû s’accommoder de la proximité de plusieurs
cèdres centenaires. L’un d’entre eux pousse même à huit mètres de la façade de
ce bâtiment ! Il a ainsi fallu en conserver le développement de ses racines et
de sa canopée. Le chantier a dû composer avec la conservation d’un patrimoine
arboré d’une valeur inestimable. Mieux, les paysagistes du parc de Malagnou en
ont profité pour revaloriser les espaces extérieurs dans une dimension
didactique et pédagogique. Ainsi la nature et sa réalité permettent aux
visiteurs d’entrer de manière cohérente dans le Muséum. Cela dans un écrin vert
réaménagé de manière à valoriser la biodiversité.

Crédit image: Philippe Chopard
Les expositions temporaires, l’auditorium, le restaurant et la bibliothèque sont organisés autour d’un puits de lumière.
« La poussière est la pire ennemie de ce genre de travaux », rappelle encore Joël Paolo. Certaines pièces qui n’ont pas pu être mises dans les compactus ont été directement confrontées au chantier. Il a fallu les bâcher pour les protéger. Une fois que la rénovation des locaux sera terminée, un important travail de nettoyage sera nécessaire. La climatisation des locaux doit aussi tenir compte de la préservation des collections. Un chantier technique titanesque, jonché d’imprévus et de surprises. A tel point que la Ville de Genève a dû en modifier le calendrier. Le complexe sera remis aux normes énergétiques et doté d’une centrale photovoltaïque. Les quelque 30 km de rayonnage actuels pourront être redistribués. L’organisation des flux de circulation des visiteurs et des chercheurs sera aussi plus rationnelle.
La
digitalisation ne peut pas tout
Les rénovations de musée fournissent aux ingénieurs l’occasion de relever des
défis techniques importants. Surtout lorsque les volumes à leur disposition ne
peuvent pas être totalement débarrassés de leur contenu. Joël Paolo et ses
équipes ont ainsi mené des travaux aussi enthousiasmants que complexes. Pour la
direction du Muséum, c’est une nouvelle ère qui s’ouvrira dès 2027, une fois
que la scénographie aura été réinstallée. L’institution compte parmi les dix
espaces les plus performants en Europe, en matière de recherche et
d’expositions. « La numérisation ne permet pas tout », explique son directeur
Arnaud Maeder. Pour reconstituer le cycle de la vie sur Terre, rien ne vaut en
effet davantage que l’observation des spécimens, à l’œil nu ou au microscope.
C’est pour cette raison que le Muséum compte actuellement une quarantaine de
chercheurs et accueille de nombreux scientifiques du monde entier. Tous épris
de l’observation de l’évolution du vivant.