La construction a bravé la morosité au deuxième trimestre
Gros œuvre et second œuvre ne savent plus où donner de la tête. Les investissements ont progressé au deuxième trimestre 2022 dans tous les secteurs de la construction, à quelques exceptions près. Mais les doutes sur l'approvisionnement énergétique laissaient déjà craindre un ralentissement conjoncturel.

Crédit image: Jean-A. Luque
Le secteur du bâtiment en Suisse ressemble encore et toujours à un jour sans fin. Imperturbable aux crises ou aux menaces, il poursuit sa quête de croissance et atteint des niveaux records.
La construction, gros œuvre et second œuvre réunis, peut se réjouir d’avoir des carnets de commandes bien remplis. Ce deuxième trimestre 2022 a connu des taux de croissance supérieurs à la moyenne, tant au niveau des investissements planifiés que du nombre de demandes de permis de construire. Le volume de constructions immobilières calculé sur la base du nombre de soumissions a augmenté de 21,2 % par rapport à la même période de l'année précédente, et de 13,1% par rapport au trimestre précédent. Les investissements envisagés semblent anticiper la hausse des prix. A regarder de plus près les demandes de permis de construire, on comprend vite que l'augmentation des prix des matériaux de construction est déjà prise en compte.
Les sommes articulées enregistrent un niveau record depuis 2012. Il en va de même pour le nombre de projets de construction. Selon les statistiques de la construction de Docu Media Suisse Sàrl, ils ont augmenté de 7,5 % par rapport au même trimestre de l'année précédente, et même de 19,7 % en regard du premier trimestre 2022.
Prix au plus
haut
L'indice des prix pour la construction d'un immeuble collectif affichait fin
avril + 5 % par rapport à octobre dernier, selon les chiffres de l'Office
fédéral de la statistique (OFS). Sur une année, cela représente une hausse de
8,2 %. Les produits métallurgiques, acier et aluminium, ont continué
d’augmenter au deuxième trimestre en raison des problèmes d'approvisionnement.
Ainsi, les fenêtres en aluminium ont été majorées de 16,4 % au cours des 12
derniers mois. Et ce n’est pas fini.
Autre point d’inflation galopante : les travaux avec du béton. Les tarifs de plus en plus élevés de l'énergie ont fait grimper les coûts de production du ciment. Le risque de rupture d'approvisionnement en gaz se répercute également sur les factures. Si un mégawattheure de gaz coûtait quelque huit francs en 2019, son prix est désormais multiplié par 25.
Inflation
« importée »
Pour la première fois en 14 ans, l'inflation a dépassé la barre des 3 % pour
afficher un taux d'inflation annuel à 3,4 % au mois de juin. Les importations
en sont bien sûr la cause principale. Selon l'OFS, elles ont augmenté de 8,5 %
en glissement annuel. Les statistiques du commerce extérieur de
l'Administration fédérale des douanes démontrent qu’il s’agit là d’une
inflation « importée ». Une flambée des prix extérieurs qui joue au yoyo,
passant d’un mois à l’autre de - 7,7 % en avril à + 10,3 % en mai.
Dans ce bras de fer économique, la force du franc est un atout pour maintenir l’inflation à des niveaux relativement modestes. Néanmoins, cette évolution du renchérissement se traduit par une perte de pouvoir d'achat. Pour la première fois depuis longtemps, les salaires nominaux ont connu une légère baisse en Suisse en 2021, à en croire les calculs de l'OFS.
La Banque Nationale Suisse (BNS) a réagi mi-juin en relevant ses taux directeurs. Une politique pour contrer l’inflation menée par la plupart des banques centrales. Mais elles devront agir avec prudence, dans la mesure où un troisième choc (après le Covid et la guerre en Ukraine) pourrait aggraver les crises actuelles. Selon la directrice du FMI, Kristalina Georgieva, si les conditions de financement devaient se resserrer elles entraîneraient un renchérissement préoccupant du service de la dette par les Etats. Optimiste, Credit Suisse table sur une hausse modérée des taux d'inté-rêt hypothécaires au cours des douze prochains mois.
PIB dans la
tourmente
Dans ses prévisions, UBS redoute un risque conjoncturel important pour l'Europe
en cas d'arrêt des livraisons de gaz russe. Un embargo plongerait la zone euro
dans une récession, ce qui provoquerait à son tour un fort ralentissement en
Suisse. Compte tenu des incertitudes, les prévisions de croissance du produit
intérieur brut (PIB) de la Suisse sont revues en permanence. Dans ses
prévisions de juin, le groupe d'experts de la Confédération table sur une
croissance du PIB de 2,8 % pour 2022, alors qu'elle était encore de 3,0 % un
mois auparavant. La ZKB a elle aussi revu ses prévisions à la baisse, les
ramenant à 2,7 %, sur fond d'inflation persistante et de changement de cap de
la BNS. Les économistes de BAK se montrent encore moins optimistes pour l'année
prochaine et tablent sur une croissance du PIB ralentie à 0,9 %.
Le boom des
immeubles collectifs
Ce tournant dans la politique des taux ne semble pas, pour l’heure, avoir
d'effet modérateur sur le prix de l'immobilier. La valeur des maisons et des
appartements poursuit son envolée au deuxième trimestre. Selon la Banque
Raiffeisen, cela est dû à la « pénurie d'offres de logements en propriété ».
Les maisons individuelles ont renchéri de 1,3 % par rapport au premier trimestre.
Les investisseurs, avides d'immeubles de placement à plusieurs étages, sont
également prêts à mettre plus d'argent sur la table. Ce type de propriétés a
augmenté de 0,8 % au deuxième trimestre et de 6,4 % sur une base annuelle,
selon l'indice calculé par le cabinet de conseil immobilier Iazi. Normalement,
une hausse des taux d'intérêt conduit à une nouvelle évaluation des bâtiments
et donc à un ajustement de leur valeur.

Crédit image: Bauinfo Center/Docu media sàrl
Taux hypothécaires à la hausse ou pas, les immeubles résidentiels gardent une cote d’enfer. Particuliers et investisseurs se disputent les constructions qui n’arrivent pas à répondre à la demande.
Les investissements prévus dans le secteur des bâtiments résidentiels ont augmenté de 16,2 % ! Selon les statistiques de Docu Media Suisse Sàrl, ce sont les immeubles collectifs qui ont été privilégiés ; ils en-registrent une hausse de plus de 25 % en un an, très nettement au-dessus de la moyenne à long terme. Les activités de transformation-rénovation (+27,2 %) et de construction (+25,6 %) sont elles aussi largement au-dessus de la norme.
Le secteur des maisons individuelles est pour sa part en berne. Le montant total des projets a fléchi de 4,8 %, notamment en raison du recul sensible des investissements dans les nouvelles constructions (-10,8 %). Les transformations et les extensions apportent une maigre lueur d'espoir (+1,3 %).
L'industrie en
pleine expansion
La construction industrielle et commerciale a tout pour être un pilier
important de l'activité de construction future. Selon les résultats de
l'enquête semestrielle du KOF de l’EPF Zurich sur les investissements, les
entreprises souhaitent augmenter leurs investissements de 7,5 % en 2022. Plus
de la moitié d’entre elles veulent investir dans leur parc immobilier, alors
qu’elles n’étaient qu’un tiers six mois auparavant.
L'industrie manufacturière s'attend à une croissance des investissements d'environ 8% pour l'année en cours, tandis que les entreprises du secteur de la construction prévoient, elles, de les réduire dans la même proportion. Quant au commerce de détail qui, selon l'institut d'études de marché Gfk, a franchi pour la première fois l'an dernier la barre des 100 milliards de chiffre d'affaires, il entend lui aussi investir massivement cette année.
Selon les chiffres de Docu Media Suisse Sàrl, les investissements pour des constructions industrielles et commerciales a augmenté de 5,5 % par rapport au même trimestre de l'année précédente. La progression est particulièrement impressionnante par rapport au premier trimestre 2022 (+18,3 %) ; la moyenne à long terme est elle aussi largement dépassée (+39,5 %).
La construction
de bureaux bat son record
La construction de bureaux présente un tableau semblable à celui de l'année
dernière, avec des coûts de construction très volatils. Après un début d'année
difficile, le secteur a atteint un niveau record au deuxième trimestre. Par
rapport à l'année précédente, les investissements ont plus que doublé, et
pratiquement triplé en comparaison avec les trois premiers mois de l'année.
Néanmoins, quelques incertitudes subsistent quant aux besoins futurs en espaces
de bureaux. Selon une enquête de la société de conseil Fahrländer Partner
Raumentwicklung, 63 % des acteurs du marché imaginent une stagnation des loyers
de bureaux, tandis que 29 % redoutent même une baisse. Note d’optimisme : le
prix de vente des immeubles de bureaux et commerciaux a connu une hausse de 2,2
points.
Le tourisme à
la veille du changement
Le secteur du tourisme reste sous pression. Néanmoins, pour les économistes du
KOF la saison estivale est un succès avec une hausse des réservations de la
part des marchés clés que sont la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l'Inde. En
outre, il y a de bonnes raisons d'espérer que le nombre de nuitées de la saison
d'été atteigne les 90 % du niveau d'avant la crise sanitaire. A long terme, le
secteur hôtelier risque d'être confronté à des changements structurels,
constate BAK Economics. 15 % du tourisme d'affaires semble définitivement perdu
à cause des changements structuraux. Cela affecte particulièrement les centres
urbains, qui accueillent un grand nombre de clients d'affaires.
Il faudra attendre au-delà de 2024 pour que le niveau des nuitées atteigne à nouveau ses valeurs d’avant 2020. On observe toutefois un rebond du tourisme de loisirs, même si cela ne se traduit pas encore en projets de construction dans les domaines des loisirs, du sport et de la détente. Toutefois, la construction hôtelière devrait bénéficier du regain d'optimisme généralisé. Son volume de construction a augmenté de 16,6 % comparé au trimestre précédent (année précédente : +1,2 %).
Dans le secteur de la santé, les investissements affichent un volume élevé avec +93,1 %. En revanche, la construction d'écoles devrait connaître une évolution inférieure à la moyenne.