14:45 PROJETS

L’Arsenal de Genève se transforme en Hôtel des Archives

Écrit par: Jean-A Luque
Teaserbild-Quelle: Jean-A. Luque

Papiers, parchemins, microfilms, supports physiques... Assemblées bout à bout, les archives de l’Etat de Genève s’étendent sur quelque 30 km linéaires. Le document le plus ancien date de l’an 912. Actuellement, ces trésors qui retracent plus de mille ans de vie genevoise ne sont pas conservés dans les conditions adéquates. Mais c’est bientôt de l’histoire ancienne. Ce patrimoine millénaire, aujourd'hui disséminé dans sept sites, est sur le point de trouver un abri digne de sa valeur.

Hötel des Archives GE 1

Crédit image: Jean-A. Luque

A l’ombre de la tour RTS et à l’abri des regards, l’Arsenal est en pleine mutation. Pour éviter la poussière, l’édifice a été mis sous cloche, emballé à la manière d’une œuvre d’art de Christo.

Bien sûr il y a la guerre qui menace, le réchauffement climatique, l’inflation, les problèmes de pénurie énergétique, les soucis de logement, de densification, etc. Et ils requièrent l’attention prioritaire des autorités qui se doivent d’assurer aujourd’hui le futur de leurs concitoyens. Bien souvent, le passé est donc relégué aux oubliettes pour parer au plus pressé. Mais pas à Genève. Là, l’Etat a pris le temps – intelligemment – de penser à l’avenir de ses archives.

Il faut dire qu’au début des années 2010, Pierre Flückiger, directeur des Archives d’Etat de Genève a lancé l’alerte. Les documents disséminés sur sept sites différents manquent de place, mais surtout ils sont menacés. Des champignons ont attaqué des parchemins. Une fuite d’eau a endommagé des registres notariaux vieux de 500 ans. L’humidité a détruit un registre d’état civil. Le salpêtre s’est infiltré…

Ce coup de semonce a l’avantage de susciter une réaction salutaire des autorités exécutives et législatives et une intense réflexion. Quelles archives veut-on vraiment à Genève ? A l’heure du tout numérique, veut-on un bunker à la campagne dont les documents sont accessibles online ? Ou préfère-t-on un lieu vivant en ville à disposition de la population ? Les coûts ne sont pas les mêmes. Les infrastructures non plus. Et comme le résume justement André Klopmann dans son livre L’Avenir du passé, « la question se pose du lien social… Une composante de la réflexion tient au fait qu’on peut accueillir aux Archives des visiteurs qui ne sont pas chercheurs et que des chercheurs peuvent visiter les Archives sans quitter leur bureau de Francfort ou de Sidney. »

Après moult réflexions, les autorités ont finalement choisi le projet le plus ambitieux, au centre de la cité, en réhabilitant et restaurant les anciennes casernes de l’Arsenal, rue de l'Ecole de Médecine. « L’Etat a saisi une belle opportunité, se réjouit Pierre Flückiger. L’armée quittait les lieux, abandonnant une surface importante en ville. Cela a fait sens de mettre les archives dans un bâtiment classé. »

L’édifice construit par John Camoletti en 1875 - 76 est massif. Ses façades sur rue, ajourées de meurtrières et de percements en forme de canonnières, affichent ostentatoirement son affectation militaire. A l’origine, l’Arsenal se distinguait par sa forme en fer à cheval avec une cour intérieure. Mais une aile a disparu, tombée au combat du temps perdu. Ne reste plus qu’une cour minérale aussi austère que spartiate, un triste parking.

Eden protecteur
C’est sans doute par la mise en valeur de cet espace à l’abandon que le bureau lausannois Pont 12 a remporté, en 2018, le concours international d’architecture lancé pour inventer l’Hôtel des Archives. Situé entre l’Arve et Plainpalais, le quartier accueille de grandes institutions (Unimail, MEG, Mamco, RTS) et toutes sont agrémentées d’un parc ou d’un parvis caractéristique. Il en sera donc de même des Archives où un éden avec arbres et bosquets va remplacer le sol de béton. Protégé des nuisances urbaines, cet espace végétalisé devra tempérer les ardeurs estivales.

Hôtel des Archives 3

Crédit image: Jean-A. Luque

Loin des regards, quelques mètres sous la surface, ce sont les dépôts bruts et étanches des archives qui constituent le cœur du nouveau bâtiment.

Encore plus fort, c’est en sous-sol que se cachera le jardin extraordinaire du patrimoine genevois. Le véritable trésor sera en effet enterré, bien à l’abri, dans les entrailles de cette cour et de sa masse végétale. « Quatorze dépôts de 330 m² chacun, répartis sur deux sous-sols, vont accueillir les archives, explique Xavier Chéron, chef de projets au Département des Infrastructures de la république et canton de Genève. Tout a été conçu pour que les documents soient à l’abri de l’eau, du feu et de la lumière. »

Pour réaliser ce bunker, il a été nécessaire de creuser une fouille représentant un volume de près de 35 000 mᶟ, avec dépollution et travaux de canalisation /drainage sous radier. La coque en béton étanche a été conçue selon les exigences d’un abri de protection civile.

« Pour la conservation des documents, nous avons opté pour un esprit low-tech, indique Xavier Chéron. L’enveloppe en béton assurera une inertie thermique parfaite, grâce notamment à l’épaisseur de la terre qui la recouvre sur 1,7 m. On ne rafraîchira pas, on ne déshumidifiera pas. On a une ventilation intelligente ; le renouvellement de l’air n’est pas nécessaire en permanence pour un dépôt. »

L’Archiviste cantonal abonde dans ce sens : « Avant on imaginait qu’il fallait un frigo à 18 degrés. En fait, comme pour le bon vin ou une bonne cave, l’important c’est d’éviter les variations de température et protéger de la lumière directe. Il faut une bonne hygrométrie et surveiller la température.» En deux mots : éviter les écarts thermiques et l’humidité.

L’eau, justement, a été dès le départ du projet une source d’inquiétude et de réflexion. L’Arve, toute proche, semble en effet une menace omniprésente. Mais ingénieurs et architectes l’affirment, ces risques de débordement de la rivière sont sous contrôle grâce à la construction bétonnée et un sytème de redirection des eaux.

« Soyons clairs, martèle le chef de projets. Nous sommes parfaitement capables de rendre étanches à 100 % les dépôts. Les entrées et accès se situent 1 m au-dessus des niveaux des crues tricentenaires. Nous avons trois portes consécutives qui protègent les entrées : une style abri PC, une porte-bateau pour étancher le passage et une qui fait office de sécurité coupe-feu. » Et d’ajouter en souriant : « On peut même résister à un tsunami à Genève.»

Chemin de ronde
Si cela n’était pas suffisant, un chemin de ronde a été créé dans ce bunker. Ce passage permet de circuler et de rejoindre les différents dépôts. Mais il permet également de surveiller visuellement l’enveloppe du béton au cas où une tache d’humidité suspecte apparaîtrait.

Hôtel des Archives GE 2

Crédit image: Jean-A. Luque

La triste cour minérale de l’Arsenal va être transformée en un jardin avec arbres et bosquets.

A noter que dans les zones critiques du dépôt, les canalisations ont été prohibées. Seule exception : un tuyau de chauffage de petit diamètre pour tempérer un peu les locaux au printemps. Et tout a été anticipé. En cas de fuite, l’inondation n’atteindrait pas plus de 1mm au sol.

Si ce monde caché, à l’abri de toute agression, constitue le cœur de l’Hôtel des Archives, les bâtiments historiques, bien visibles, seront tout à la fois son esprit, ses yeux, ses poumons et son système circulatoire. L’entrée du public se fera par la rue de l’Ecole de Médecine. Depuis le corps central, les visiteurs emprunteront deux ailes, Plainpalais ou Arve, selon qu’ils sont fonctionnaire, chercheur, étudiant ou simple utilisateur.

Dans la première sont prévues diverses salles publiques pour des expositions et des conférences. C’est là aussi qu’on trouvera la bibliothèque et les salles de lecture où il sera possible de consulter les documents d’archives. « Nous avons voulu des espaces généreux pour la consultation et la bibliothèque, tient à signaler Pierre Flückiger. Et puis, il y aura des volumes agréables avec des zones de travail, plus tranquilles et isolées, situées sur des coursives surélevées. »

L’aile Arve sera pour sa part réservée aux professionnels du département avec bien sûr les bureaux de l’administration et du secrétariat, mais surtout l’atelier des archivistes, des compactus pour les stockages temporaires et une salle de séminaire pour l’université. C’est dans cette aile, qui a également une entrée directe depuis le Quai Ernest Ansermet et l’Arve que seront réceptionnés tous les documents. Avec un passage obligé : la chambre de décontamination et un espace de traitement des archives. En effet, il est exclu qu’un vieux grimoire contaminé par des spores intègre les rayons du dépôt.

Rien ne se perd
Un espace pour la restauration des documents et la reprographie sont prévus au premier étage. De même que des salles de conférence, des smart offices et quelques services de l’Etat de Genève. Et pour qu’aucun espace ne se perde, les combles permettront à la Compagnie de 1602 de conserver costumes et matériel, d’entretenir ce patrimoine dans les ateliers, en attendant de défiler à l’occasion de l’Escalade.

Ce qui caractérise le chantier de l’Hôtel des Archives est à n’en pas douter la qualité du travail des intervenants et l’excellence des matériaux. Deux liaisons en sous-œuvre avec le corps principal de la caserne ont été creusés de manière spectaculaire en vérinant le bâtiment existant sur une structure métallique provisoire. Quant aux travaux de transformation du bâtiment existant et de maçonnerie, ils sont de toute beauté. On ne peut qu’admirer la couverture en ardoise qui a été posée ou les voutains redécouverts et mis en valeur. Le soin du détail va jusqu’aux fenêtres en chêne à verres isolants dont l’exécution est faite à l’ancienne, par Maurice Beaud Fils Constructions, avec petit-bois traversants et vitrage au solin de silicone. Ou alors plus prosaïquement en choisissant des canalisations d’évacuation en fonte Düker SML, fournies par Water Technology Solution : 500 m de tuyaux, raccords et connecteurs antifeu grâce à leur matériau incombustible.

L’Hôtel des Archives qui doit être inauguré fin 2024 semble tenir toutes ses promesses. Mais cela n’a pas été sans difficultés. En effet, ce chantier en site urbain s’est révélé bien délicat à de multiples reprises. On ne parle même pas des difficultés inhérentes à la logistique ou au manque d’espace. En fait, une des priorités permanente du maître d’ouvrage a été de préserver autant que possible les riverains. Pour éviter les nuisances, Xavier Chéron n’a pas ménagé ses efforts. « Comme les sous-œuvre sont sous la nappe phréatique, nous avons en permanence cherché les techniques les moins dérangeantes. Plutôt que de mettre des palplanches, nous avons privilégié la pose de parois berlinoises. Pour réaliser l’enceinte étanche, nous avons choisi de travailler en jetting. Mais malgré tous nos efforts, on a eu parfois des mauvaises surprises. Les vibrations se sont transmises par les réseaux de canalisation et ont même incommodé la RTS. Du coup, on a augmenté le nombre de puits de travail pour réduire la pression localisée. »

Afin de contenir la poussière, l’édifice a été emballé à la manière d’une œuvre d’art de Christo. Ce qui n’a pas empêché tout le quartier d’être incommodé par les effluves de goudron quand il a fallu procéder à l’étanchéité et l’isolation de la dalle de la toiture du dépôt. Ces travaux dureront jusqu’en début 2023… Un fragment d’éternité au regard des archives centenaires qui seront protégées.

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