Le futur tramway lausannois multiplie les prouesses techniques
Entre Lausanne-Flon et la gare de Renens, en passant par Malley, l’agglomération vaudoise présente le visage d’un immense chantier à ciel ouvert. Depuis plus de cinq ans, les routes et avenues qui relient les deux cités ne sont que tranchées et déviations routières. Mais aujourd’hui le résultat commence à se voir distinctement. Toutes les nuisances seront bientôt oubliées, remplacées par la satisfaction et le confort de pouvoir emprunter le tramway le plus spacieux et moderne de Suisse. 15 minutes suffiront pour parcourir la ligne.

Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
Le viaduc du Closel, qui enjambe la voie CFF de Sébeillon, est un pont courbe avec un rayon horizontal de 39 m. Il est construit en béton armé, avec un tablier précontraint par post-tension en forme d’auge d’une longueur de 125 m.
En ce printemps 2025, le compte à rebours est bel et bien lancé. Les rails sont posés et soudés sur une immense partie du parcours de 4,6 km. Les mâts pour accueillir les caténaires sont plantés. Les premières des dix stations, séparées de quelque 500 m chacune, découvrent leur visage. Et le garage atelier, ainsi que son pont qui le relie au réseau, n’attendent plus que les premières rames… Avant la fin 2026, le tramway lausannois entrera en fonction : 13 millions de voyageurs sont escomptés par année.
Avec ses 45 m de long et surtout ses 2,65 m de large, chaque convoi pourra embarquer quelque 300 personnes, dont 75 assises. Et cela à la cadence, en journée, de toutes les six minutes. A titre de comparaison, les bus biarticulés les plus grands du réseau des Transports lausannois (TL) ne font « que » 25 m et recensent 150 voyageurs au maximum.
Première
suisse !
Cet exploit en termes de capacité a été rendu possible par l’utilisation de
l’écartement de rail dit normal. Concrètement, l’écartement des voies est le
même que celui des rails CFF, alors que les tramways sont historiquement en
Suisse, à voie métrique. « Cette option stratégique a été rendue possible par
le fait que notre tracé est très rectiligne, explique Guillaume Mitjavile,
responsable projet du tramway lausannois aux TL. Le résultat se traduit par des
rames plus larges, plus confortables, plus capacitaires. Comme nous utiliserons
du matériel comme le m1, les CFF ou d’autres réseaux européens, cela permet des
économies d’échelle. Mais cela a demandé beaucoup d’efforts en amont, dès 2012,
pour obtenir les autorisations auprès de l’Office fédéral des transports, car
c’est une première en Suisse ! »

Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
L’infrastructure tient ses délais. Les rails sont très largement déployés.
Le chantier du tramway lausannois est titanesque. Impossible de décrire l’entier des travaux ou d’ouvrages d’art qui le composent. Mais un certain nombre d’entre eux sont incontournables, à défaut d’être visibles. C’est le cas notamment dans la vallée du Flon. En plein centre-ville de Lausanne, sous les rails du tram, se cache un incroyable labyrinthe de galeries souterraines.
« Tout le long du tracé, nous avons dû retirer les réseaux souterrains, décrit Guillaume Mitjavile. Pour des raisons d’accès pour les réparations ou la maintenance, les réseaux d’eau, eaux usées, fibre optique, électricité, gaz ne peuvent pas rester sous les voies du tram ; ils ont donc tous été déplacés sur les côtés. Mais au Flon, entre deux fronts bâtis si proches, il était impossible de déplacer le chauffage à distance (CAD) hors de la plateforme. Nous avons donc dû creuser une galerie technique située à 6 et 7 m de profondeur pour placer les conduites. Un véritable tunnel. Le travail de creuse a été particulièrement compliqué : les sous-sols du quartier sont en effet composés de remblais hétérogènes qui se sont accumulés lors du comblement de la vallée du Flon, sans oublier tous les éléments de construction non répertoriés des constructions voisines qu’il s’agisse d’anciens blocs de béton ou de tirants d’ancrage. »

Crédit image: Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
Le garage atelier est le centre névralgique du tramway lausannois. Sur 5600 m² de surface, le bâtiment pourra accueillir à terme jusqu’à 15 rames pour les abriter durant la nuit, mais également pour assurer leur maintenance et toutes les réparations.
Les travaux liés à la plateforme du tram se sont déroulés sans problèmes particuliers entre ferraillage et pose du béton de fondation, pose de natte antivibratoire et dalle flottante, pose des traverses et des rails, bétonnage du revêtement en béton désactivé et, dans certains secteurs, végétalisation avec des plantes grasses.
Mais à côté de ce long ruban ferroviaire, un ouvrage d’art retient tous les regards : le pont du Closel. Situé à Renens, entre la rue de Lausanne et le chemin du Closel, il supporte une voie de tram pour relier le réseau au garage atelier. Ce pont hélicoïdal au rayon de courbure en 3 dimensions est une prouesse architecturale et de génie civil, due notamment au travail des équipes d’un groupement de mandataires composé de SD Ingénierie SA, BG Ingénieurs Conseils SA (maintenant WSD) et d’Architram architecture et urbanisme SA.
Tablier
précontraint
Ce viaduc, qui enjambe la voie CFF de Sébeillon, est un pont courbe avec un
rayon horizontal de 39 m. Il est construit en béton armé coulé en place, avec
un tablier précontraint par post-tension en forme d’auge d’une longueur de
125 m. Cinq doubles piles fondées sur pieux et encastrées en pied et en tête
viennent appuyer le tablier sous les poutres d’auge. Précontraint avec 8
câbles, le pont a nécessité 1700 m3 de béton et 250 t d’armatures. La vingtaine
de mâts sur lesquels l’alimentation électrique des trams s’appuie ont été posés
par hélicoptère début mars.
Cette voie d’accès aérienne mène au cœur névralgique du tramway lausannois : le garage atelier. Situé au cœur de la ligne, sur la parcelle qui prolonge le bâtiment des TL à Perrelet, il servira à abriter les rames durant la nuit et assurer la maintenance et les réparations des trams. Avec ses 5600 m² de surface, le bâtiment pourra accueillir à terme jusqu’à 15 rames.
Ce complexe, dont la construction a débuté en août 2022, a des dimensions impressionnantes : 110 m de longueur pour 8 m hauteur. L’accès au garage se fera par le côté est du bâtiment au travers d’un peigne de voies. Mais entre le moment de sa conception et sa réalisation, une contrainte technique de taille est venue s’ajouter et complexifier la situation : l’agrandissement de la halle pour bus des TL. Cette extension qui vient se coller au garage atelier a nécessité un travail de coordination de tous les instants pour parvenir à l’intégrer. Les trams accéderont à leur dépôt sous la halle des bus.

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Les rames quitteront leur tracé pour longer le garage atelier et y revenir au travers d’un peigne de voies placé sous l’extension de la halle pour bus des TL, en cours de construction.
Le garage atelier est un édifice multiniveaux. Il se compose d’un sous-sol partiel (environ 800 m²) sous la partie administrative, d’un rez-de-chaussée simple ou double hauteur et d’un étage au-dessus des zones simple hauteur. Il est équipé de deux types de voies de maintenance : des voies sur dalle, pour les travaux plus longs qui exigent le démontage de composants tels que les bogies, et des voies sur fosse pour des inspections complètes. Au sommet, se trouvent également des passerelles pour accéder aux toits des tramways. Ces passerelles sont équipées de portails de sécurité gérés par un système informatique qui gère l’alimentation des caténaires, les fils aériens électriques.
Savant mélange
bois-béton
D’imposantes zones de stockage pour les pièces de rechange cohabitent avec des
espaces plus restreints équipés de rayonnages mobiles, style compactus, pour
les éléments électroniques et les petites pièces mécaniques. Une grande halle
fait office de station de nettoyage géante ; juste à côté, une autre est dédiée
aux travaux de peinture. A cela s’ajoute toute une série de bureaux
administratifs, de salles de réunion et de repos, ainsi qu’une cafétéria. Des
espaces où bois et parquets règnent en maître.
Pour réduire la note CO2, le complexe est un savant mélange de bois et béton. Du béton qui a réutilisé autant que possible les gravats des fondations du bâtiment préexistant. Charpente, façades et ossatures sont pour leur part en bois. Les magnifiques sheds, orientés au nord, apportant lumière et ventilation naturelle dans la halle, sont également en structure bois.
La toiture, non accessible, accueille 840 panneaux photovoltaïques et des surfaces végétalisées qui rafraîchissent l’ensemble lors des grandes chaleurs tout en améliorant l’écoulement des eaux en cas de fortes précipitations. Le garage atelier se prévaut d’être autonome en énergie. Le chauffage et la ventilation sont assurés par des flux via les plafonds. Le complexe est conçu selon une approche visant à garantir le haut niveau de performance énergétique et écologique tant du projet de construction que de la réalisation proprement dite, en matière de développement durable.
Souci de
l’efficace et de l’esthétique
D’autres
ouvrages remarquables parsèment le parcours du tram. « Il y en a un qui est
exceptionnel, insiste Guillaume Mitjavile, c’est le viaduc de Malley. Le talus,
qui soutenait la voie CFF, en bordure de la Vaudoise aréna a été rasé, car trop
large pour laisser la place nécessaire à notre voie de tram. A la place, dans
la continuité du pont du Galicien et de ses magnifiques arches centenaires en
pierre, nous avons construit une nouvelle structure avec… des arches en béton.
Ce viaduc est utilisé pour le transport marchandise des CFF et tout
particulièrement les déchets à destination de l’usine Tridel. » Et le chef de
projet d’ajouter : « Ce souci de l’efficace et de l’esthétique, nous le
retrouvons partout le long du tracé. Même quand il s’agit de murs de
soutènement en gabions hauts de plusieurs mètres ou en pierre de taille. »
Malgré les problèmes de livraison des rames rencontrés par le constructeur Stadler Rail – son site de Valence où elles sont assemblées, et ses fournisseurs ont été impactés par les effroyables inondations de l’automne dernier –, les TL restent confiants. L’infrastructure tient parfaitement ses délais. La mise en circulation du tramway lausannois est toujours prévue à l’horizon 2026.
Le décompte final de cette première étape, de Lausanne à Renens, n’est pas encore connu, mais les coûts sont annoncés sous contrôle et devraient tourner autour de 400 millions de francs. Une deuxième étape, estimée à 200 millions, va voir le tracé se prolonger jusqu’à Villars-Sainte-Croix. D’une longueur de 3,1 km et en grande partie végétalisé, le tracé sera jalonné de six stations et longé par des pistes cyclables continues ainsi que des cheminements piétons élargis. L’approbation de ce prolongement par l’Office fédéral de transports est attendue cette année encore.